— Vous n’êtes pas qu’un simple amuseur public, poursuit Jérôme, vous êtes un acteur. Vous endossez un rôle, et vous ne le quittez qu’au moment où les projecteurs cessent de se braquer sur vous !
Michel est dépité. Tony est rassuré :
— Ouf ! Tu m’as fait peur, souffle-t-il.
— Dommage que vous n’endossiez ce rôle que pour notre court-métrage, qui arrive d’ailleurs à son dénouement ! ajoute-t-il. Vous connaissez la règle : la célébrité pour un quart d’heure, pas une minute de plus !
— Dans mon cas, j’aurais bénéficié d’une heure de célébrité ! Mais vu que personne ne me reconnaît, je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il n’y a pas une minute de plus consacrée à la gloire ! La gloriole, peut-être… En fait, dès que je sors du studio, je redeviens un anonyme. J’ai même parfois l’impression d’être plus anonyme encore qu’à mon arrivée !
Jérôme Verlann applaudit Michel comme un spectateur applaudirait un clown qui maîtrise son numéro à la perfection, et surtout, jusqu’au bout.
La montre gousset se referme et Michel se lève. « À bientôt ! » glisse-t-il plus encore au public qu’au présentateur. Toutes les personnes présentes sont conquises.
— Pas question qu’il finisse premier, celui-là, pense Jérôme, on serait forcé de reconnaître qu’il venait pour la quatrième fois… Il y a vraiment du laisser-aller aux inscriptions !
Michel s’en est allé du Théâtre *** depuis plusieurs minutes déjà quand le second candidat, première candidate de la soirée, fait son entrée sur le plateau.
— Nous accueillons maintenant Marlène !
Le chauffeur de salle donne la consigne, le public scande : « Lène-Mar-lène-Mar-lène- Mar-lène… »
Marlène est une jeune femme de vingt ans environ, elle porte des lunettes noires et, de toute évidence, ses cheveux oranges sont en réalité une perruque.
— Quel accueil ! Comment vivez-vous cela ? demande Jérôme à la jeune femme en prenant exactement la même intonation fraîche que pour le premier candidat.
— Trop bien !
— Trop bien ! reprend-il en griffonnant quelque chose en-dessous de Candidat n°2 : Marlène.
— J’en rêve depuis trop longtemps en fait !
— Ah… et depuis quand ?
— Depuis que j’suis ado. C’est en découvrant les stars de la télé-réalité que j’ai commencé à vouloir être… connue !
— Et je suis sûr, Marlène, que vous gagnez à être connue !
Rires moqueurs dans le public.
— Bah, pour le moment, répond Marlène, j’ai encore jamais gagné grand-chose…
Déferlante de rires.
— Très bonne cliente ! fait Tony dans l’oreillette.
— Eh bien peut-être serez- vous ce soir, Marlène, la gagnante de notre Quart d’Heure de…
— Célébritéééééé ! hurle le public.
— Assoyez-vous, je vous en prie, dit Jérôme en désignant le deuxième fauteuil.
— Assoyez-vous ? fait Marlène, vous m’avez pris pour une baronne !
— Mais, rappelez-vous, Marlène que vous êtes dès cet instant et pour un quart d’heure une célébrité ! D’ailleurs, à ce propos, me permettez-vous une question ?
— Ben, ouais, pas de soucis.
— C’est à propos de vos lunettes noires et de vos cheveux postiches, ils sont bien postiches, n’est-ce pas ?
— Non, c’est une perruque, pourquoi ?
Nouvel éclat de rire dans la salle.