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Le Quart d’Heure de Célébrité

Publié le 5 février, 2017

Commodément installé dans sa loge, plus rien n’existe dans le champ de vision de Jérôme Verlann que deux objets.
Le premier est la coupe de champagne qu’il a réussi, sans trop de peine, à substituer à la carafe d’eau que la production de la chaîne lui avait initialement mise à disposition. Et ce dès le premier soir où il a pris les commandes du talk-show, le Quart d’Heure de Célébrité. C’est maintenant une habitude ajoutée à l’organisation technique de l’émission, au même titre que l’éclairage du plateau ou la disposition des deux fauteuils de part et d’autre de la table ronde.
Cette table, en forme de montre gousset géante, est bien connue des deux millions de téléspectateurs qui constitue l’audience moyenne à cette tranche horaire. Elle symbolise à elle seule le principe de cette émission, que Jérôme a proposé à la chaîne quatre ans plus tôt.
L’idée lui est venue en regardant Marilyn Monroe dans le blanc acrylique des yeux. Il avait été invité par un ami à un vernissage de plasticiens qui rendaient hommage à Andy Warhol, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Et c’est en redécouvrant les portraits pop art de l’actrice-chanteuse américaine, exposés dans la galerie principale, qu’il se rappela cette prophétie de Warhol, datant de 1968 : « À l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale ». Et Jérôme Verlann d’ajouter : « Pas une de plus ! »

L’émission dure une heure et demie. Chaque samedi soir, en seconde partie de soirée, quatre invités, illustres inconnus, se relayent autour de la montre gousset, pendant une heure. Ils ont donc 15 minutes chacun pour exposer aux téléspectateurs un sujet de leur choix, après lesquelles la lunette, d’abord grande ouverte, se referme subitement, en trois secondes. Ils ont donc carte blanche pour évoquer ce qu’ils veulent. Certains se concentrent sur leur métier, parfois en voie de disparition (le mois dernier, un souffleur de verre est venu faire la promotion, la gorge nouée, d’un artisanat qui se raréfie) ; le plus souvent les invités se racontent, et exposent au plus grand nombre des parcours de vie qu’ils ont estimés être d’un intérêt quelconque…
L’heure passée, le présentateur fait un récapitulatif des propos des quatre invités avant de soumettre ces « portraits » au vote des téléspectateurs par l’intermédiaire d’un réseau social créé spécialement pour l’émission : le QHC Time. L’invité qui reçoit l’assentiment du public gagne la possibilité de voyager pendant un mois complet dans un pays de son choix. Aucun pays n’est exclu, pas même ceux en guerre ! Ceux qui arrivent en deuxième et troisième positions ne gagnent rien. Ils repartent chez eux, heureux, l’espère-t-on, d’avoir eu leur quart d’heure de célébrité. Quant à celui qui arrive dernier, il est contraint, physiquement contraint, de partir une semaine dans un pays choisi majoritairement par les votants. Aucun pays n’est exclu, pas même ceux en guerre… Là-bas, il sera soumis à un dispositif de caméras sophistiqué, qui permettra aux téléspectateurs de suivre ses déboires, en temps réel. Histoire de rigoler un peu ! En réalité, c’est la production qui choisit les gagnants, les perdants, les pays et les détails des différentes péripéties qui attendent les « célébrités ».
— Dix minutes, monsieur Verlann, lance un assistant qui a osé passer la tête derrière la porte de la loge.
— Je sais…, réplique le présentateur du Quart d’Heure de Célébrité.
Jérôme Verlann n’aime pas bien être dérangé lorsqu’il est dans ses pensées. Il termine sa coupe de champagne, en fixant le deuxième objet qui demeurait dans son champ de vision : son carnet à spirale.