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L’homme le plus casanier du monde

Publié le 1 novembre, 2015

Cinq semaines ont passé, et quelques mille deux cent quatre-vingt-quinze autres !
Reynaldo a finalement migré jusqu’au Pérou (ou peut-être chez les indiens Yaquis d’Arizona ? On ne peut jamais savoir avec Reynaldo).
Alexandra a retrouvé la France et Matthieu, (son Matthieu). Ils ont repris les habitudes de la vie quotidienne. Matthieu ignore toujours qu’il y a vingt-cinq ans, à l’issue des cinq semaines les plus folles de sa vie, Alex a hésité toute une nuit à suivre Reynaldo dans sa vie aventureuse.
Quant à Solange, elle a quitté Bernard. Impertinente qu’elle est, elle en a aussi profité pour quitter la Terre.
Bernard est veuf depuis de longues années. Ses filles vivent en France et il a trois petits-enfants qu’il n’a jamais vus que sur l’écran de son ordinateur.
Il n’y a plus que sa vieille amie Alex pour lui rendre visite, une fois tous les trois ans à peu près.

Il habite à deux pas du parc bicentenaire, rue Humberto Marin, à l’abri des avenues les plus fréquentées. Alexandra pourrait s’y rendre les yeux fermés. En se dirigeant vers la maison, elle se fait la même réflexion que lors de ses précédentes visites : « Bernard ne bougeait jamais de son coin lorsqu’il était en France. Il est venu s’installer en Equateur peu après la disparition de Solange… pour y demeurer tout aussi sédentaire ! C’était bien la peine ! »
Alexandra sourit et, dans sa hâte de poser enfin son sac de voyage, elle allonge le pas. Deux hommes se retournent sur son passage, (elle est de ces femmes dont on dit qu’elles sont encore très belles !) Elle se demande avec une pointe d’inquiétude quels changements elle va trouver chez son ami : Bernard n’a jamais pris grand soin de sa santé ; il n’est pas du genre à hanter les salles de fitness, en revanche il fréquente assidument le canelazo qu’il appelle son grog !
Elle tire sur la poignée de cuivre et entend le drôle de petit carillon, si particulier, qui chaque fois la met en joie. Ce n’est pas Graciela qui vient lui ouvrir, ce n’est pas non plus Bernard, c’est Reynaldo.
Alexandra pâlit. Le temps d’un battement de cœur, mille images confuses lui traversent la tête, mais Reynaldo sourit :
« Bonjour Alexandra ! Oh ! Je vois que tu n’as toujours pas appris à voyager léger ! Qu’est-ce que tu transportes dans ton sac, ton service en argent ?
– Reynaldo ? Qu’est-ce que tu fais ici ?
– Tu n’es pas contente de me voir ?
– Si, enfin non, reprend-elle troublée, enfin si je suis contente de te voir, mais je ne m’y attendais pas du tout ! »
Il y a une table ronde, faite en bois de balsa, devant la maison, avec deux chaises légèrement tournées côté rue, prêtes à les accueillir. Reynaldo propose à Alexandra, d’un geste convivial, de s’y installer.
« Profitons de ce soleil, veux-tu ? Avant de rejoindre Bernard.
– Ou Bernard pourrait nous rejoindre ici ! s’enthousiasme-t-elle en s’asseyant à son tour.
– Tu sais, Bernard ne quitte plus l’intérieur de la maison que lorsqu’il y est réellement obligé !
– Ah… »
Un ange passe. Un colibri aussi ! L’une des espèces les plus fréquentes en Equateur…
« Cela fait une différence entre nous, dit mystérieusement Reynaldo.
– Quoi donc ?
– Tu disais que tu ne t’attendais pas à me voir. Cela fait une différence entre nous. Moi, je savais que tu viendrais : Bernard me l’a annoncé par téléphone le mois dernier. Et c’est pourquoi je me suis décidé à venir aussi ! En bon voisin.
– Tu habites Quito ?
– Bogota, en Colombie. C’est le pays à côté !
– Je te croyais au Pérou ! »