L’homme porta la main droite à la poche de son pantalon :
« Non, je les ai, dit-il. J’avais la tête ailleurs, excuse-moi, je suis vanné. »
Il sourit de toutes ses belles dents blanches, parfaitement rangées, les mêmes dents que celles de Bernard. C’est ce qui décida Solange à laisser entrer l’inconnu.
Bien sûr, c’était une folie mais elle avait eu si peur ! Alors même si ce n’était pas tout-à-fait Bernard, elle n’allait pas faire la fine bouche, à une heure pareille !
Pour jouer le jeu, elle se pendit à son cou et se serra fort contre lui :
« Tu rentres si tard, murmura-t-elle, je me suis inquiétée, tu sais… »
L’homme la prit dans ses bras, de la même façon que Bernard le faisait quand elle avait besoin d’être réconfortée :
« Bah, que veux-tu qu’il m’arrive ?
– Tu aurais pu appeler.
– Je n’avais plus de batterie. »
Solange n’insista pas. Elle ne voulait surtout pas le fâcher. Elle proposa de faire réchauffer le dîner, ce qu’il accepta avec une joie manifeste.
Il dévora littéralement. Bernard, lui, dînait toujours du bout des dents, comme pour s’acquitter d’un devoir. C’était un vrai plaisir pour Solange de voir l’étranger faire honneur à sa cuisine pourtant si simple, si ordinaire.
À la fin du repas, alors que l’homme avait tourné la tête en direction du téléviseur, Solange n’y tint plus et appela :
« Bernard ! »
Sans même une demi-seconde d’hésitation, il se retourna vers elle :
« Oui ? »
Ainsi, il se prénommait également Bernard…
« Rien, dit Solange, j’aime bien dire ton prénom, je suis si heureuse que tu sois là. »