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Bernard ?

Publié le 1 septembre, 2015

J’avais été si soucieux de bien faire que j’avais mémorisé chacun des traits de son visage. Bref, il me salua avant d’enchaîner poliment sur cette histoire de tondeuse. J’espère avoir répondu à ses attentes. Il est reparti, comme il y a six ans. Quant à moi, je suis resté au magasin, évidemment. Et c’est là que tout a commencé. J’ai alors été pris de mélancolie.
– De mélancolie, c’est-à-dire ?
– Un drôle de truc, qui a voilé de tristesse le reste de ma journée. Je n’ai cessé de me répéter que ça faisait déjà six ans… six longues années que je travaille comme vendeur à ce magasin, et que je n’ai pas évolué… Six ans que je me dis que j’en ai assez. Six ans que c’est du provisoire.
– Mais on fait de notre mieux, Bernard. Tu le sais bien. On subvient à nos besoins. Nos filles ne manquent de rien. C’est vrai qu’on ne peut pas se permettre de sortir beaucoup, mais…
– C’est du provisoire ? »
Solange ne sut quoi répondre. Alors qu’ils se tenaient par la main, son mari lui parut à une distance qu’elle n’était pas en mesure de calculer.
« J’ai ressenti le besoin, lors de ma pause déjeuner, de prendre un petit moment pour moi. Je me suis promené dans notre campagne… En me recentrant, vous m’êtes tout naturellement venues à l’esprit, Annette, Suzanne, et toi. Je vous aime toutes les trois. »
Aux yeux de Solange, son mari se rapprochait, et la distance qui les séparait toujours ne lui parut plus tout à fait incommensurable.
« Si je comprends bien, tentait de se rassurer Solange, tu es parti te promener, et maintenant tu vas mieux…?
– Oui », tricha Bernard.
Il en fallait peu à la mère de Suzanne et Annette pour être heureuse : en plus de ses deux filles, une petite maison avec jardin, un carnet à spirale pour jouer à la secrétaire, qu’elle avait été avant la naissance de Suzanne, et un mari sur lequel, et avec lequel, compter. Mais elle avait parfois l’impression, surtout après un échange comme celui de la veille, que son mari ne se satisfaisait pas autant de leur situation…
Il était presque onze heures du soir et Bernard n’était toujours pas rentré. Alors elle s’était décidée à faire toute seule les comptes de la semaine. Et elle avait eu le temps de les recommencer plusieurs fois, toujours avec le même résultat, ni alarmant ni rassurant…