Elle n’avait pas dîné, elle avait attendu. Elle avait bu beaucoup de café et elle avait encore attendu. Longtemps.
Impatiente, puis anxieuse, puis en colère, puis à nouveau anxieuse, elle avait attendu.
Elle avait attendu un petit bruit rassurant, un tintinnabulement, comme un bruit de clochettes : le trousseau de clefs de Bernard contre la porte d’entrée.
Ce fut la sonnette !
La sonnette, à onze heures du soir ! Ce ne pouvait pas être Bernard !
Son cœur cognait très vite et très fort mais, tout au fond de son être, s’installait ce calme, ce détachement inexplicable avec lequel on accueille souvent les pires catastrophes.
Derrière la porte, il y aurait sans doute deux policiers embarrassés. L’un d’eux, en évitant de la regarder dans les yeux, lui demanderait si elle était bien l’épouse de « Lepoint Bernard, trente-cinq ans » et, dans le silence qui suivrait, tout serait dit…
Solange ouvrit la porte.
Ce n’était pas la police. Ce n’était pas Bernard non plus.
Le même visage, pourtant. Les cheveux et les yeux de la même couleur que ceux de Bernard. Même taille, même corpulence. L’homme ressemblait à Bernard comme un vrai jumeau ressemble à son jumeau. Mais Bernard n’avait pas de jumeau !
Solange était très proche de sa belle-famille. Le jeune couple rendait souvent visite aux parents de Bernard. Il avait un frère aîné, deux sœurs, une bonne demi-douzaine de neveux et nièces et tout ce petit monde se serait entendu pour lui cacher l’existence du jumeau de son mari ? Dans quel but ? L’idée était ridicule ! La vérité, comme toujours, était bien plus simple : cet homme était le sosie parfait de Bernard.
« Pourquoi (elle hésita à le tutoyer)… Pourquoi as-tu sonné, (elle fut sur le point de dire chéri mais ne put s’y résoudre) tu as perdu tes clefs ? »