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Artiste : Joël Hugoo
Techniques : pastel
Site : www.facebook.com/Joel.Hugoo

Film n°5 : Barry Lyndon

Publié le 12 mars, 2017

Réalisateur : Stanley Kubrick
Année : 1975
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Un enfant devient-il un homme en se confrontant à la médiocrité de ses contemporains ? Il s’enlaidit des turpitudes auxquelles il est contraint de participer, et ne peut plus s’embellir que par la repentance de ses actes. En cela, toutes les époques se ressemblent. En cela, tous les intrigants sont des faiseurs d’aventures.

Celle du jeune Redmond Barry commence comme la ritournelle du candide qui s’aveugle des vastes espaces qu’il croit à sa portée. Des lieux inouïs, où les lacs lèchent les forêts, et où les plaines s’enterrent dans des contrées ancestrales… L’Irlande est son horizon proche, et le terrain de ses frasques de jeunesse. À son âge, rien ni personne n’est censé lui résister. On ne se refuse pas à Redmond Barry ! Sinon il bombe le torse. Sinon il vous mesure du regard. Sinon il vous défie en duel.

Vingt pas. Trois témoins. Deux pistolets à silex. Dans Barry Lyndon, les duels à mort sont l’opportunité pour les orgueilleux de les resituer dans ces vastes espaces qui les ont d’ores et déjà engloutis. Ils sont si petits, ces deux-là, et pourtant celui qui sortira victorieux du duel se croira un instant le maître du monde ! Un instant seulement, car la société des hommes a le don de précipiter les plus jeunes, les plus faibles, dans le gouffre de ses vanités supérieures.

Au XVIIIe siècle, l’Angleterre et la Prusse sont en guerre contre la France et ses alliés. Dans ses multiples aventures picaresques, Redmond Barry échangera son pistolet contre un fusil. Il n’est plus seul. Ils sont une armée complète. Il ne défie plus un homme, mais un pays tout entier… Dans une telle confrontation, avant la charge, l’orgueil personnel doit laisser place à une pulsion de mort, celle capable de transformer les survivants en héros, et les vaincus en martyrs.

La guerre, toujours la guerre, que les peintres et les photographes parviennent sans le vouloir à embellir. Toutes les époques se ressemblent… De quelle technique picturale se servirait Gainsborough pour dépeindre les terrains que les belligérants d’aujourd’hui foulent du pied ? Quel cadrage utiliserait Stanley Kubrick pour immortaliser ces innommables d’un instant ?

Ces considérations sont loin de ce qui préoccupe notre protagoniste qui, en bon réchappé de la mort, envisage ses jours restants comme un appendice à sa vie d’autrefois. Plus question d’être jeune et naïf. Afin d’exister dans le monde qu’il jalouse, il s’agit d’être expérimenté et calculateur. S’ensuit alors une ascension sociale dont la trajectoire ferait rougir de honte Eugène de Rastignac.

Ayant réussi à s’extirper de la province irlandaise qu’il ne serait plus capable de reconnaître, notre parvenu échafaude les plans les plus cyniques pour briller dans la société qu’il convoite. Souvent les masques éloignent les visages de ceux qui les portent de ceux avec qui ils interagissent. Dans le cas de Redmond Barry, devenu Barry Lyndon, il n’en est rien. Le maquillage qu’il se fait appliquer, les perruques qu’il se fait mettre, ne le transfigurent pas ; au contraire, ils dévoilent son vrai visage…

La décadence a ceci d’extraordinaire qu’elle est capable d’attirer sciemment les hommes de bonne éducation vers les abysses du paraître. C’est d’autant plus troublant avec Barry Lyndon qu’il n’a pas besoin d’être entouré pour exister. Le monde dans lequel il s’est établi peut bien s’écrouler, il resterait contemplatif, noyant sa fierté inébranlable dans l’assise qu’il cherche à donner à ses proches.

Mais Barry Lyndon n’a pas de proches de cœur ; il n’a que des proches de sang. Il peut bien être magnanime pour ces êtres du quotidien qu’il tolère (non sans heurts), il n’aimera jamais que sa mère, et son enfant, Bryan. Il nourrira l’espoir que ce dernier survive à son existence, comme il avait lui-même survécu à ses tourments. Ainsi, peut-être, les aventures des Lyndon se poursuivront à travers les générations. Ainsi, peut-être, les orgueils personnels et les vanités supérieures se confronteront de nouveau ! Car la Comédie Humaine est universelle et intemporelle. Il revient à Schubert, Haendel, Bach, Vivaldi et Mozart de la rendre sublime !