— Bon, là t’as pas le choix, dit Olivier en manipulant le rétroviseur intérieur, elle arrive. Tu vas quand même pas lui faire le coup de repartir au moment où elle croit qu’on va la prendre ? Tu pourrais même faire un brin de marche arrière, ça serait élégant…
* * *
Comme il réglait le rétroviseur pour reprendre la route, Max eut tout le loisir de voir le visage de la jeune femme qui s’était installée au milieu de la banquette arrière, négligeant d’attacher sa ceinture. Audrey, avait-elle dit s’appeler. Leurs regards se croisèrent. Max jugea qu’elle était d’une beauté effrayante. Pensant que la sublime auto-stoppeuse pourrait le soupçonner de se servir du rétroviseur pour la regarder à la dérobée, il se sentit rougir et, comme un gamin prit en faute, il se lança dans une maladroite explication de ce qu’il était en train de faire.
— Euh, je crois que mademoiselle connait la fonction d’un rétro, glissa Olivier, devenu étrangement subtil.
Dans le rétroviseur, Max la vit sourire. Un geste qu’elle eut pour arranger ses cheveux fit tinter le bracelet qu’elle portait au poignet droit. Il se figea en apercevant le bijou :
— Ce n’est pas possible, se dit-il, elle porte le bracelet ! Le bracelet !
Après avoir trahi son hésitation par une décélération progressive, Max se lança :
— Mademoiselle… Audrey, je peux vous poser une question ?
— Tant qu’elle ne cache rien d’obscène…, tint-elle à préciser en ressentant le regard omniprésent d’Olivier sur ses longues jambes.
— Non, rassurez-vous ! Ce bracelet, à votre poignet… Où vous l’êtes-vous procuré ?
Max n’en revenait toujours pas. Un bracelet tout à fait similaire avait appartenu à sa marraine, Clothilde. Il s’en souvenait dans les moindres détails, car elle avait tenu, avant de quitter le monde des vivants, à raconter à Max les plus fabuleuses aventures de son existence, et les voyages épiques qui leur servaient de contextes.
En apparence simple pour les jeunes filles qui recherchent de la brillance, l’anneau était en fait un bijou d’artisanat tibétain, un objet dont l’encerclement métallique logeait une douzaine de pierres assez rares, des Kyanites taillées des mois entiers par des bouddhistes entièrement dévoués à leurs tâches, nichées aux côtés de Dragons d’Opale, apprivoisés pour l’occasion dans les saintes grottes du mont Kailash…
— Oh, ça… une babiole que j’ai achetée à Tournai.
Les élans oniriques de Max étaient ainsi brutalement coupés, par une réponse aussi franche que sèche, celle d’Audrey qui, sans le savoir, venait de choquer un homme pourtant expérimenté.