— Pour devenir célèbre ? tente Djene.
— Ah non, vraiment.
— Être riche ! s’exclame Richard.
— Même pas.
— Pour être entouré des plus belles filles de la planète ? demande Daniel (sans y croire un instant.)
— Toujours pas. Et puis, d’ailleurs, Djene est déjà parmi nous.
Le compliment ne passe pas inaperçu ; il résonne dans l’appartement lillois de Théo.
Avant de proposer à ses amis de regarder l’un de ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Théo est invité à les informer des résultats de ses démarches éditoriales. Voici quatre ans qu’il a achevé l’écriture de son premier manuscrit : L’ombre d’une mélancolie, et autant d’années qu’il essuie les refus des maisons d’édition les plus connues. Étrangement, plutôt que de le déprimer, chaque lettre de refus type semble le conforter dans son enthousiasme.
— C’est vrai ça, reprend Djene qui est parvenue à maîtriser sa rougeur, on sait tous ce qui te motive à écrire, mais pourquoi diable souhaites-tu à tout prix être publié ?
Read More →Vincent s’était retrouvé dans ce quartier pour la seule raison qu’un organisme l’y avait convoqué. Il s’agissait pour lui de prouver, documents à l’appui, qu’il était bien celui qu’il prétendait être. Simple formalité pour le commun des mortels, mais pour quelqu’un d’aussi effacé que Vincent, cela représentait un véritable exploit.
Pourtant, il n’avait pas erré dans des couloirs sans fin, rejeté de bureau en bureau, comme il l’avait redouté. Les choses s’étaient passées très vite et très bien.
En sortant de l’immeuble, soulagé et sûr de lui (pour quelques heures au moins), il avait traversé l’avenue pour entrer dans un petit café tout en longueur où il avait choisi une table, près de la baie vitrée.
En entrant, il avait dit « bonjour » si fort et avec un tel enthousiasme qu’il en avait eu honte. Par chance, il était le seul client à cette heure-là. Le barman, un brun taciturne aux sourcils énormes l’avait juste salué de la tête.
Il avait commandé un verre de vin rouge que le barman taciturne lui avait servi sans un mot. Peu après, une très belle jeune femme avait posé devant lui une soucoupe pleine de petites choses délicieusement croustillantes. « Pour accompagner votre verre de vin », lui avait-elle dit.
Read More →Rien n’a peut-être jamais eu lieu. Les volutes de fumées voilent les songes du héros. À l’arrière du théâtre chinois, Noodles s’est procuré ce qui est sans doute le meilleur opium de New York. Peut-être s’en sert-il pour endormir, à défaut de cicatriser, les plaies toujours béantes de ses frasques sentimentales, en amour comme en amitié, jalonnées sur le chemin périlleux sur lequel il s’est engagé dès sa plus tendre enfance…
Dans l’un des premiers retours en arrière du film, Noodles, le protagoniste, incarné par un Robert De Niro éblouissant de profondeur, se remémore un instant que seule la magie de l’enfance peut faire émerger des bas-fonds d’un New York délavé, gangrené par les gangs. Celle dont il est alors épris, Deborah (interprétée par la frêle Jennifer Connelly), revisite un verset du Cantique des Cantiques, qu’elle lit à son amoureux. Ou Noodles n’est-il que son prétendant ? Voire un garçon qu’elle méprise ? Elle glisse en tout cas dans sa lecture platonique son amertume, doublée d’un espoir qu’elle ne semble pas assumer.
Le gramophone fait crépiter ces sentiments tout autant exaltés qu’inavoués, et c’est là le début de la relation pétrie de confusion entre Deborah et Noodles. Et à l’instar de l’ensemble des liens que le jeune homme va nouer avec ses amis, celle-ci va durer trois générations.
Noodles nous promène de 1922 à 1968 et fait de nous le témoin de sa profonde mélancolie, comme s’il craignait à chaque instant d’être trahi. Quelle triste lucidité en vérité, ou son manque de fougue dans l’expression de ses sentiments aura fini de semer sur son chemin les pierres de la solitude.
Il s’investit pourtant, sincèrement, presque avec candeur, dans ses relations les plus prometteuses. Avec Deborah comme avec son meilleur ami, Max (campé dans son format adulte par un James Woods insaisissable), Noodles s’engage, se dévoile même, malgré cette distance qu’il entretient entre lui et eux, entre lui et le monde entier. Cette distance est à la fois sa grande force et sa faiblesse la plus palpable. Elle lui permet d’embrasser toutes les audaces, mais l’empêche de jouir pleinement de son existence. L’opium, sans doute, peut l’y aider.
Allongé à l’arrière du théâtre, dans l’euphorie de la paix intérieure tant recherchée, Noodles continue de rassembler ses souvenirs… Les charlottes russes, les brumes couvrant les docks, le Pont de Manhattan, Noodles se souvient.
La Prohibition, les communautés qui fourmillent les unes à travers les autres, ses amis, Max, Patsy, Cockeye, et Dominic, le plus jeune de la bande, Noodles se souvient… de tout. À l’image de ces jeunes gens, New York se construit. L’environnement urbain en pleine expansion, en pleine mutation, expose Noodles et ses amis à une nécessaire débrouillardise. Les cinq garçons découvrent la vie, expérimentent les sentiments et les plaisirs, mais la survie dans ce milieu incertain, souvent hostile, leur démontrera que la cruauté, elle aussi, est extrêmement précoce.
Sur ce chemin de tous les absolus, Ennio Morricone nous guide pendant 4h11 (pour la version intégrale) et alterne avec une habileté magistrale les partitions faisant usage d’instruments à cordes, à vent, à percussion, les solos et les orchestrations, pour mettre en musique le propos d’Il était une fois en Amérique (1984) que Sergio Leone qualifiait de film-testament.
La complicité qui unissait les deux hommes depuis près de vingt ans atteint son climax. Leur symbiose éclate à l’écran. Ennio Morricone composa d’ailleurs la bande-originale du film sans qu’aucune scène n’ait été encore tournée, à partir de la seule lecture du scénario, auquel a directement participé Sergio Leone.
Et le metteur en scène nous fait ici la démonstration, à l’image du Parrain de Francis Ford Coppola, que les plus admirables émotions peuvent animer et se dégager de personnages tiraillés par de viles motivations. Le gangstérisme est un prétexte esthétique à une narration brillante.
Le 23 novembre 2018, Paris s’est de nouveau illuminé. Ennio Morricone nous offrait son concert d’Adieu. En dirigeant les 200 musiciens de l’Orchestre Symphonique National Tchèque et un Chœur composé de 75 chanteurs, le maestro nous a embarqué une ultime fois pour le plus onirique de tous les voyages cinématographiques.
Read More →Une pluie torrentielle de billets s’abat sur les places boursières, et inonde la ville de Berlin, jusque dans ses plus petites ruelles. La chute brutale des cours pourrait donner le sentiment, par ce déluge, que la capitale s’enrichit, en réalité, c’est tout le pays qui sombre dans la pauvreté.
Les jeux sont clos. Désormais il faudra une charrette chargée de billets pour acheter un pain. Le Reichsmark ne vaut plus rien. Nous sommes le 13 mai 1927, un peu plus de deux ans avant le fameux jeudi noir, et c’est l’ensemble du système capitaliste qui vacille sur ses fondements.
En 1922, le très envoûtant Rudolf Klein-Rogge incarne pour la première fois au cinéma le docteur Mabuse. Dans les premières minutes, ce super-criminel fignole l’un de ses méfaits les plus ambitieux : faire chuter les cours de la bourse de Berlin en répandant des informations tronquées dont il est le seul à maîtriser les tenants et les aboutissants. Afin de profiter de la revente des titres lors de la remontée fulgurante du cours lorsqu’il l’aura décidé.
Fritz Lang met en scène l’un des dérèglements possibles du capitalisme et ses effets dévastateurs… des années avant le Krach. Il ne s’agit plus de démontrer que ce réalisateur génial était un visionnaire !
La série complète des « docteurs » Mabuse (incluant les suites « Le testament du docteur Mabuse » en 1933 et « Les 1000 yeux du docteur Mabuse » en 1960) illustre le talent de Fritz Lang à mettre sous les projecteurs les dérives jusqu’au-boutistes de demain (respectivement dans les trois films, le capitalisme sauvage, le totalitarisme, et Big Brother).
Pour ce premier volet, il collabore avec Norbert Jacques, l’auteur du roman éponyme publié un an auparavant, et s’entoure de celle qui deviendra peu après sa femme, la sulfureuse Thea Von Harbou. Ils dessineront ensemble les traits de celui qui est dépeint comme un génie du crime, une sorte de Fantômas dans la langue de Goethe, capable de faire s’agglutiner autour de lui des malfrats de toute espèce, de simples rôdeurs prêts à la soumission, comme de redoutables stratèges qui attendent pourtant les mêmes directives de ce charismatique docteur Mabuse !
Le film joue beaucoup sur les fantasmes liés à la psychanalyse, très jeune alors, et à laquelle on associe à l’époque des pouvoirs quasi-surnaturels… Et pour mettre en scène ces processus, tantôt transcendants tantôt destructeurs, Fritz Lang mise notamment sur un contraste clair-obscur millimétré, et sur un jeu d’acteurs délicat plutôt qu’exacerbé, choix qui se prête particulièrement bien pour décrire l’ambivalence des multiples personnages que le docteur Mabuse incarne pour parvenir à ses fins de manipulation. Fritz Lang effleure à certains égards l’expressionnisme allemand sans jamais l’épouser réellement.
Les dernières scènes ne seront pas sans influencer le cinéma d’Howard Hawks, pour ses métrages les plus populaires. Mais très vite, on quitte le tumulte de la guérilla, l’inferno, pour glisser, doucement, vers les abysses de la psyché du docteur Mabuse, ce colosse que la mégalomanie aura grandement fragilisé.
La pluie torrentielle reprend. Sous le crâne du Criminel, la tempête se déchaîne. Le torrent prend la forme d’un flot continu de pensées… À la surface de sa condition psychique, le docteur Mabuse dérape !
Les portes de son enfer s’ouvrent, et les démons qu’il avait longtemps retenus déferlent dans une nouvelle réalité, audacieusement imaginée par Norbert Jacques, Thea Von Harbou et Fritz Lang. Un fantastique à la Maupassant, subtil et mystérieux, fait alors son apparition… magistral.
Docteur Mabuse est une œuvre à la fois inventive et impudente, que la réorchestration symphonique aura fini de rendre grandiose !
Read More →Flore fait ce qu’elle peut…
Au cœur de sa force étrange
Se logent ces Bleus de l’Ange
Du feu qui crépite en moi
Rêve ce vert qui me tentera
De ces pensées blanches de raison
S’éveille ce nouvel horizon
Au zénith, son mouvement jaune
Finira par survivre aux Gorgones
La jeune femme pourrait mentionner son activité de poétesse à qui voudrait l’entendre, histoire de se rendre intéressante. Mais ce n’est pas l’option qu’elle a choisie. Par pudeur peut-être, par honnêteté intellectuelle sans aucun doute.
Car si Flore a une certaine disposition pour l’écriture, ce qu’elle exprime dans son carnet à spirale, comme lui dirait monsieur Strictland le ton supérieur, est avant tout le reflet d’une dose cruelle de talent…
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